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De Polaroid à 9gag : en route vers la rematérialisation

29 novembre 2017

A une époque où la transformation digitale des entreprises bat son plein, où le montant investi dans la publicité sur Internet en 2017 dépassera pour la première fois celui investi dans la télévision et où la digitalisation des points de vente est au cœur des stratégies des distributeurs, il me semblait important de rappeler les enjeux autour de la notion de rematérialisation.
La rematérialisation est un terme récent qui nous vient officiellement depuis 2013 de l’univers de l’archivage où l’on a constaté que la trop grande dématérialisation des supports posait problème lorsqu’il fallait, par exemple, produire un document physique devant une cour de justice. Au-delà de ces considérations technico-juridiques, c’est devenu un véritable phénomène de société qui ne fait que grandir au fur et à mesure que la dématérialisation, elle, avance à pas de géants ; la nature, comme on le sait tous, aimant bien l’équilibre.
La rematérialisation c’est par exemple la survie du support Polaroid à travers l’ « Impossible Project » qui grâce à un appel à compétences a su sauver ce support contre toute attente. Et cela a si bien fonctionné qu’ils sont ensuite passés à la re-production d’appareils instantanés jusqu’à finalement racheter la Polaroid Corporation en Mai 2017 pour relancer la marque historique sur son cœur de business.
Mais ne nous y trompons pas, c’est aussi grâce à la puissance des réseaux sociaux qu’ils ont pu faire connaître leur projet, s’assurer d’une base de fans prêts à investir dans cette formidable aventure mais aussi identifier les personnes les plus compétentes à même de les accompagner dans ce qui ressemblait au début à un combat perdu d’avance.
Si je cite cet exemple c’est parce qu’il incarne parfaitement l’intérêt de la rematérialisation aujourd’hui : à savoir son lien indéfectible avec la toute puissante dématérialisation. Et plus que de les considérer sous l’angle physique de « l’action/réaction » il semble plus intéressant de les connecter l’un à l’autre et d’utiliser la toute-puissance digitale afin d’affiner le concret.
Cela peut s’incarner dans des objets qui allient le meilleur des deux mondes. Comme par exemple la start-up grenobloise ISKN qui commercialise la Slate, une « ardoise » sur laquelle on pose une banale feuille de papier et avec laquelle il suffit de connecter n’importe quel stylo avec une bague afin que tout ce vous dessinez en réel se reporte en live sur votre écran. Ce qui est bluffant dans ce produit c’est que vous conservez vos outils, vos habitudes à qui vous donnez une toute nouvelle dimension.

Cette union sacrée entre digital et « réel » est sans doute ce qui explique le succès mondial et fulgurant de Pokemon Go. Au-delà de l’aspect ludique, Nintendo a prouvé qu’il était possible de coordonner une expérience digitale et une expérience physique en utilisant la géolocalisation des smartphones. Pokemon Go fonctionne sur le principe de la Réalité Augmentée, une technologie qui s’inscrit dans cette logique de rematérialisation puisqu’elle ajoute au support physique une couche de numérique qu’elle soit ludique, informative ou bien même servicielle.
Un succès interplanétaire qui doit laisser rêveur un bon nombre de réseaux de distributions dont l’objectif est de capter et de qualifier ses consommateurs via le digital afin de les orienter vers des points de ventes physiques, le tout au travers d’une expérience qui lisse la frontière entre ces deux univers. C’est d’ailleurs ce même univers du retail qui a développé le concept de « phygital » ou comment la vente physique intègre les données et méthodes du monde digital dans l’optique de développer son chiffre d’affaires.

La rematérialisation s’applique aussi au champ du brand content. Dans ce domaine elle permet de transcender des activations digitales en leur donnant une finalité encore plus étonnante, encore plus attachante. En effet, elle y apporte un supplément d’âme si cher aux consommateurs qui, face aux abysses du numérique, donnent une toute nouvelle valeur aux éléments concrets et tangibles que peuvent encore lui fournir les marques.

Un des meilleurs exemples remonte à 2013 où KLM lançait sa « must see map », une interface connectée à Google Maps où vous affichiez le plan de la ville que vous projetiez de visiter et où vous demandiez à votre communauté d’y indiquer toutes leurs bonnes adresses afin de préparer au mieux votre voyage. Une fois la carte complétée l’internaute pouvait faire éditer sa carte personnalisée en réel et la recevoir chez lui avant son départ. Et c’est là que la rematérialisation prend tout son sens, que l’attachement à une marque réside dans sa parfaite connexion au digital mais aussi dans sa capacité à se matérialiser au moment où vous en avez le plus besoin prenant ainsi de court toutes celles qui sont dépendantes de l’autonomie de votre smartphone.
La rematérialisation permet aussi d’incarner des discours publicitaires tout aussi immatériels qu’une bannière internet. A l’image de ce que nous avons proposé à Kia (un des clients de l’agence) lors du lancement de son SUV urbain « Stonic ». Nous avons développé une signature publicitaire « Le crossover énergisant » et nous avons accompagné la campagne media de lancement par la création et la diffusion à travers l’ensemble du réseau de concessionnaires d’un Energy Drink qui reprenait le nom du modèle et les éléments clefs de son design. Cet objet était une extension réelle et naturelle de la promesse publicitaire et permettait aux futurs acheteurs de réellement goûter au positionnement produit mais surtout de créer un attachement plus fort vs. la simple exposition à un pre-roll sur Youtube.
La rematérialisation c’est aussi le fait de transformer des tweets en action réelle comme dans l’opération #bringdowntheking destinée à promouvoir la nouvelle saison de Game of Thrones en Nouvelle Zélande. A chaque fois que ce hashtag était publié, une corde tirait un peu plus sur la statue grandeur nature du roi Joffrey installée sur une place populaire à Auckland jusqu’à finalement la déboulonner sous les yeux de milliers d’internautes.

Le comble de la rematérialisation, c’est cette stèle géante gravée des mèmes internet les plus universels que le site 9gag a enterrée dans le désert Espagnol afin de laisser la trace la plus durable et tangible qui soit de la culture internet. Ce qui finalement nous ramène tout droit à la fonction première de la rematérialisation, celle de l’archivage, doublée ici d’une formidable opération de communication.
En conclusion, si nous nous devons d’innover sans cesse et continuer de placer au cœur de nos stratégies de communication les outils digitaux et numériques qui permettent de délivrer le message le plus pertinent au moment le plus opportun, ne perdons pas de vue le besoin universel de choses tangibles voire contraintes.
J’en veux pour preuve les ventes records et inattendues de vinyls neufs en France qui ont triplées ces 5 dernières années et qui semblent vouloir continuer sur cette tendance, tout comme le streaming musical qui semble lui aussi avoir plus que de beaux jours devant lui.

Laurent Vicariot – Head of Strategic Planning – Innocean France